
De tous les spectacles que l'on a vus cette saison, Harvey est le plus accompli. Il divertit, éblouit et va bien au-delà de son argument. C'était déjà le cas à l'époque de la création de la pièce. La plus belle réussite du travail actuel est de laisser sourdre, d'une comédie cocasse, très intelligente, dépassant de loin les apparences, une analyse implicite de la société. La société d'alors et celle d'aujourd'hui. En toute légèreté.
>> Retrouvez cet article dans notre numéro consacré à Times Square de Clément Koch, au Théâtre Montparnasse jusqu'au 30 avril
Avouons que, lorsque nous avions appris le projet de Laurent Pelly et Agathe Mélinand de monter cette pièce américaine de l'après-guerre, que nous avons pu craindre un décalage, le sentiment de quelque chose d'un peu passé. Nous ne connaissions Harvey que par le film d'Henry Koster (1950). Visible sur les chaînes du câble, il est illuminé par la présence de James Stewart Un film que nous avions vu sans le comprendre vraiment. En effet, s'il y était question de l'invention d'un ami imaginaire, un lapin que seul "voit" le héros, on nous parlait d'abord du refus de l'altérité, de la folie - douce ou profonde - et de l'exclusion.
Or, Laurent Pelly, poète, sensible aux univers décollés de l'âpre réel, aux imaginations, des grands comme des enfants, à leurs inventions fraîches ou persistantes comme une défense de l'âge adulte, lui avait tout compris. Et l'on a découvert, au TNP-Villeurbanne en octobre dernier, combien Harvey nous parlait. Il y a dans l'univers de Mary Chase les rêveries héritées de sa culture irlandaise, et l'acuité analytique d'une journaliste américaine. C'est avec ce double pouvoir qu'elle écrivit Harvey, qui lui valut le prix Pulitzer. Et l'on comprend que Laurent Pelly ait longtemps nourri ce projet.
Collaboratrice essentielle, Agathe Mélinand a traduit la pièce avec beaucoup d'esprit, et le metteur en scène a convaincu le plus idéal des interprètes. Un artiste rare et qui, au théâtre, s'aventure plutôt seul ou accompagné d'un ou deux partenaires, danseurs par exemple. Ce garçon, dont on peut avoir le sentiment que la pièce a été écrite pour lui, c'est Jacques Gamblin. Long, délié, élégant, il est exactement un beau séducteur hollywoodien des années 1940-50. Il y a en lui l'innocence d'Elwood, la force que lui donne Harvey, sa capacité à fuir, à esquiver, sa crédulité et sa lucidité mêlées. Dans un décor de Chantal Thomas, une distribution excellente est réunie : Pierre Aussedat, Charlotte Clamens, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Grégory Faive, Katell Jan, Agathe L'Huillier, Lydie Pruvot, Kevin Sinesi. La comédie emporte, exalte, et enseigne combien il est dur de ne pas être comme les autres.
Armelle Héliot
>> Retrouvez le numéro de L'avant-scène théâtre consacré à Harvey, mis en scène par Laurent Pelly
En tournée :
Les 10 et 11 mars auThéâtre Jean Vilar – Suresne (92)
Du 18 mars au 1er avril au CADO – Centre National de Création d’Orléans-Loiret (45)