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Les critiques de L'avant-scène : La cuisse du steward (++)

Joséphine de Meaux et Mériam Korichi reprennent une pièce de Jean-Michel Ribes de 1990, qu’elles montent avec beaucoup de fantaisie.

Le 13 octobre 1972, le vol Fuerza Aérea Uruguaya 571, qui assure la liaison entre Montevideo et Santiago, s’abîme dans la Cordillère des Andes. Les survivants, parmi lesquels une équipe de rugby uruguayenne, se résolvent à manger les cadavres des autres passagers pour survivre. Dont celui du sergent Ovidio Joaquín Ramírez, un… steward. De ce fait divers resté dans les annales, Jean-Michel Ribes en a tiré une comédie absurde (1990) qui refait surface presque jour pour jour cinquante ans après les faits. 

>> Retrouvez cet article et l'intégralité de nos actualités dans notre numéro consacré au Chevalier et la Dame de Carlo Goldoni (n°1532-1533) 

Septembre 2022. La scène du Rond-Point est recouverte d’une neige épaisse. Apparaissent Yvonne et Lionel Barnette, petit couple bourgeois et sans encombre. Lui, universitaire rabat-joie ; elle, idiote mais enthousiaste. Quel décor original pour installer cette fausse comédie de boulevard qui commence, comme tant d’autres, par une dispute domestique ! Des fauteuils d’avion éventrés remplacent le sempiternel canapé. Une valise fait office de table basse. Ils n’ont plus guère à manger, si ce n’est des paquets d’amandes grillées par centaines et des bouteilles de champagne de 25 centilitres. Mais aussi, la cuisse congelée du steward Paul, pieusement conservée par Yvonne qui entend bien la garder au chaud pour le réveillon de Noël. Que la fête commence ! 

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Alors que cette saison signe sa dernière à la tête du prestigieux théâtre des Champs-Élysées, on retrouve avec plaisir la “petite musique” de Jean-Michel Ribes qui aura bercé ces lieux depuis plus de vingt ans. On la connaît. Héritée de Topor, elle déçoit rarement. D’autant que le genre - l’absurde - a presque disparu. Il n’est pas utilisé en vain. L’auteur singe le vaudeville pour tendre vers la fable philosophique. Ceux du XVIIIe siècle plaçaient leur intrigue sur une île ou une planète inconnue, lui s’empare des neiges éternelles pour finir dans la jungle amazonienne (impressionnante scénographie de Constance Arizzoli). Mais, quel que soit le lieu ou le danger, les codes bourgeois reviennent au galop : “Vous resterez bien à dîner ? Il nous reste des pieds de footballeurs…” 

On se range dès lors derrière l’éclairée Yvonne (étonnante Joséphine de Meaux), qui se métamorphose, abandonne sa condition bourgeoise, devient “piment de la révolte” et prône un ordre nouveau jusqu’à virer idole païenne et maîtresse fasciste ! Les autres, qui lui servent de sparring partners dans le rôle de médiocres - un chanteur de variété, un guérillero pantouflard - ne sont pas en reste. Il en faut pour faire vivre une farce échevelée. Avec, comme ultime symbole de ces bourgeois tombés sur la tête, la cuisse du steward, devenue relique postapocalyptique et totem de l’Homme nouveau. 

Jusqu'au 9 octobre au Théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe), puis en tournée à Nice et Aix-en-Provence.

Jean Talabot