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Les critiques de L'avant-scène : L'Écume des jours (++)

En fantaisie et en musique, la jeune compagnie Les Joues Rouges retrouve sur scène l’essence de Boris Vian dans un bijou infidèle qui donne envie de danser et de mourir vite.

            On ne touche pas impunément à L’Écume des jours, roman de l’adolescence, livre culte qui n’appartient qu’à la littérature. Pire, qui appartient à tout un chacun. Le lecteur y décrypte les images surréalistes à sa guise, y puise la poésie qu’il lui sied. “Plus poignant des romans d'amour contemporains” (Queneau), farce swing d’après-guerre, conte métaphysique farfelu, exercice pataphysicien… L'œuvre serait inadaptable. Le poète du cinéma Michel Gondry, il y a dix ans, s’y est brûlé les ailes. Au théâtre, L’Écume est un peu plus récurrente, mais rarement avec le brio qu’elle mériterait. La jeune compagnie des Joues Rouges, pour sa première création, a tenté l’ascension. C’est imparfait autant que tout à fait viantesque. L’essence du roman est là : on danse et puis on disparaît. Bravo. Une fantaisie de tous les diables vaut mille fois mieux qu’une copie fidèle et trop sage.  

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            “Il y a seulement deux choses, écrivait le trompettiste dans son avant-propos : c’est l’amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington.” La première partie de son poème en prose n’est faite que de cela. Sur scène, de belles filles rencontrent de jolis garçons au rythme du mythique pianocktail. Saint-Germain est en ébullition. On lit Jean-Sol Partre (on rappelle que le “vrai” Sartre a longtemps défendu le roman avant qu’il ne soit reconnu à sa juste valeur) et l’on danse dans les boîtes de jazz. Colin, riche et oisif, trouve un sens à sa vie en rencontrant le grand amour : Chloé. Les comédiens sont neuf sur scène. Ils s’aiment, chantent et virevoltent à merveille. Les chorégraphies sont léchées.

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            Puis le disque s'enraye. Un drôle de médecin arrive en rappant. C’est rarement bon signe. Un nénuphar grandit dans la poitrine de Chloé. L’appartement se referme. Il suinte comme les bayous de Louisiane où Vian prétend avoir écrit son roman (il n’y a pourtant jamais mis les pieds). La lumière se fait de plus en plus rare. Colin se ruine en fleurs pour guérir sa bien-aimée. 

            Cette deuxième partie, on l’aura compris, ne repose plus sur la même énergie. Les fleurs et l’argent manquent. Cette jeunesse dorée s’éteint doucement. La vaillante troupe, passée piano, lâche un peu le rythme mais continue d’enchaîner les trouvailles, portée par une réécriture intelligente, qui intègre des standards du bebop. Ce n’est pas tout à fait Vian dans le texte, c’est Vian sur scène. Et c’est tant mieux !

Jusqu'au 12 mars au Lucernaire (Paris, VIe).

Jean Talabot