
Août 1914. L’Allemagne déclare la guerre à la France. C’est la mobilisation (masculine) générale. Nos Poilus partent au front “la fleur au fusil”, comme le veut l’expression consacrée pour l’occasion. Les femmes sont aux fenêtres à encourager leurs hommes et brandir des fanions tricolores. Elles n’imaginent pas les conséquences d’une telle désertion. Rapidement, une bonne partie d’entre elles se retrouve à l’usine, à polir des millions d’obus. Les collégiens connaissent la chanson : ce sous-chapitre de l’histoire française a intégré notre roman national. Les manuels le nomment chichement “la participation des femmes à l’effort de guerre”. C’est plus que cela. Johanna Boyé nous rappelle qu’il fut le foyer du féminisme moderne.
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Dans une usine d’armement, on retrouve Julie, Rose, Jeanne et Louise. Cette dernière (Pamela Ravassard), nouvelle venue, sort un peu du lot. Célibataire, étudiante, apprentie journaliste, elle se bat pour une cause étrange : le droit de vote pour les femmes. Quelle audace ! On la qualifierait aujourd’hui de militante féministe ; on disait à l’époque “suffragiste”. Elles n’étaient pas bien vues, voire mises à l’écart, accusées de ralentir l’atelier et de propager ces idées bolchéviques qui commencent à poindre en Europe.
Longtemps méfiantes, ses consœurs finissent par l’adopter. Elles aussi, sont touchantes. Il y a la doyenne (Brigitte Faure), mémoire vivante et patriarcale de la guerre de 1870 ; la mère de famille (Élisabeth Ventura, qui adapte avec Johanna Boyé La Reine des neiges à la Comédie-Française), qui attend des nouvelles de son mari. La cadette, enfin, cheffe de cœur de cette sororité aux mains sales (épatante Anna Mihalcea), qui fait le lien entre ces personnalités si opposées. Leur nouveau métier a sa part de risque. Les cadres de l’usine – eux sont des hommes – leur “offrent” un verre de lait par jour. Cet antipoison supposé les épargnerait des substances toxiques qu’elles manipulent chaque jour…
On devine vite l’intention de Boyé en adaptant cette pièce de Michel Bellier (Les Filles aux mains jaunes, Lansman, 2014) : nous ramener à la source du combat féministe par le biais de la grande Histoire. Ce put être une démonstration brillante et scolaire – ce l’est en partie – on en retient surtout un récit de femmes bien ficelé qui touche au cœur. Tout y participe : le décor, qui évoque un atelier de fortune ouvert aux quatre vents ; les lumières, soignées, qui découpent plusieurs ambiances ; certains moments chorégraphiés, qui nous font vivre le travail à la chaîne ; ces quatre comédiennes, dirigées à merveille, qui cent ans plus tard poursuivent le combat.
Jusqu'au 30 décembre au Théâtre Rive Gauche (Paris XIVe).
Jean Talabot