
Depuis quelques années, Michel Fau a un faible pour les auteurs désuets. Ce n’est pas un snobisme : ces comédies, malgré leur charme vintage certain, n’ont pas leur désuétude pour qualité première. Elles sont drôles, déjà. Fleur de cactus de Barillet et Gredy, monté en 2015 avec Catherine Frot, fut un étincelant succès. Avec Lorsque l’enfant paraît (1951), le metteur en scène ressuscite cette fois André Roussin. Et Frot lui donne toujours la réplique. On découvre une pièce brillante et l’on retrouve des comédiens excellents. Le pari est à nouveau réussi. Chapeau !
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Le lourd rideau rouge de la Michodière, vieillot lui aussi, révèle un élégant décor d’intérieur bourgeois aux perspectives fantastiques, qui va en se renfermant comme la maison de L’Écume des jours. C’est l’antre feutrée des Jacquet, couple de haut-bourgeois garants d’une morale chrétienne qui part à vau-l'eau en ces années d’après-guerre. Il est sous-secrétaire à la famille et vient de durcir les peines contre l’avortement. Elle, honorable mère de foyer, apprend qu’elle attend un enfant. Et son fils, qu’il a engrossé la secrétaire du sous-secrétaire. La fille, elle, quant à a des malaises suspects. Les Jacquet s’imaginent déjà faire la queue en famille chez le gynécologue…
Lorsque l’enfant paraît n’est pas un boulevard classique : les couples s’aiment et ne se trompent pas. Les portes restent tranquillement sur leurs gonds. La comédie prend son temps (voilà peut-être son seul défaut, elle eût mérité quelques coupes) mais révèle une finesse d’écriture et un sens du dialogue bien rare. Il est beaucoup question d’avortement. Cela aurait pu suffire à rendre la pièce “moderne”, adjectif toujours recherché quand il s’agit d’un texte un peu daté. Non, elle est moderne car elle révèle aussi bien le bourgeois d’hier que d’aujourd’hui et sans doute de demain. Roussin croque à merveille l’ambivalence des mœurs bourgeoises, c’est-à-dire aujourd’hui de nos mœurs à tous. On en vient à regretter que ce compliment ait été galvaudé tant sa pièce se hisse sans mal à la hauteur des références que sont Labiche et Feydeau.
La distribution suit. Michel Fau campe formidablement un politicien patriarche (dans cet ordre), réactionnaire à l’extrême, forcément contradictoire. Catherine Frot, qui lui vole la vedette, est décidément une reine de comédie. Par ses soupirs, ses affections, sa manière d’ânonner des poncifs mais aussi de jouer quand elle n’a pas la parole… Quelle actrice ! Elle nous fait rire aux éclats sans lâcher un sourire. Les quatre autres n’ont pas l’aura de ces deux stars, mais complètent bien la ronde.
Jusqu'au 31 décembre au Théâtre de la Michodière (Paris, IIe).
Jean Talabot