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Théâtre de Poche-Montparnasse : les beaux fruits de l’automne

Dans l’esprit de son père, Philippe Tesson, sa fille Stéphanie a composé, avec le directeur administratif Gérard Rauber, une programmation riche et diverse de 8 spectacles différents.

Un théâtre, c’est un peu un navire. D’ailleurs, on sait bien que les premiers athlètes à faire vivre les machineries et les décors, étaient d’anciens marins. Un théâtre, sans son capitaine, peut prendre de mauvaises gites. Philippe Tesson, patron de presse, journaliste, critique de théâtre, homme de rêves nombreux, avait repris le Théâtre de Poche en 2012, confiant la direction à Charlotte Rondelez et Stéphanie Tesson. Longtemps, il avait rêvé d’un lieu aussi pluriel que le centre Georges-Pompidou. Mais en plus petit, tout de même !
Il fit du Poche son royaume, sans jamais rompre le fil de l’héritage de ce foyer unique où l’on vit, après-guerre, le Mime Marceau et Jean Vilar et plus tard le jeune Daniel Auteuil ou le poète Romain Weingarten. Les derniers héritiers sont Marion et Stéphane Bierry, sœur aînée metteuse en scène et frère passé par le conservatoire, les enfants de Renée Delmas et Étienne Bierry. Ils ont toujours eu leur place au Poche.

Philippe Tesson s’est éteint le 1 er février 2023, en pleine saison. Le bateau a continué sur son aire. Et, après quelques semaines de fermeture estivale, tout a repris. Dans la profusion et la diversité. Un jour a compté plus que les autres : le mercredi 20 septembre 2023, à 10h00 du matin. Malgré l’heure – c’est un peu tôt pour les gens de théâtre, qui jouent le soir et se couchent tard – un monde fou était présent. On présentait et le livre, sélection de critiques de Philippe Tesson, Un théâtre en liberté, anthologies de critiques dramatiques, 1970-2012*, et les nouveaux responsables de L’avant-scène théâtre, créateurs en 2012 des Éditions des Saints-Pères, Nicolas Tretiakow, et l’écrivain Jessica Nelson.

Passage de flambeau en présence, notamment, de Christophe Barbier, journaliste, éditorialiste, homme de théâtre familier du Poche, et Pierre Arditi, merveilleux lecteur prenant sur son temps pour honorer la mémoire de Philippe Tesson. Une fête très chaleureuse, emblématique du Poche. Les trois enfants du « patron » étaient présents, Daphné, la benjamine, Sylvain qui analysa d’une manière fulgurante le livre, Stéphanie Tesson, l’aînée sur qui repose l’avenir des fondations paternelles.

Un matin parenthèse, dans le mouvement effervescent de la maison. En ce mois d’octobre, ne ratez pas les lundis si fleuris : Judith Magre, celle dont Philippe Tesson écrivait en titre d’une critique : « Voir Judith Magre et mourir », lit des nouvelles de Sylvain Tesson, poète aux pieds ailés. Elles sont prélevées dans le recueil S’abandonner à vivre**, tout un programme pour chacun….  Le lundi, également, la blonde et lumineuse Brigitte Fossey dit des Fables de La Fontaine, accompagnée au piano par Danielle Laval, sous le regard doux de Stéphanie Tesson. Il a été à l’affiche également le lundi : Christophe Barbier et son évocation sensible, Mozart, mon amour***, avec la chanteuse lyrique Pauline Courtin et, au piano, le virtuose Vadim Sher. C’est également le lundi qu’est repris le très touchant spectacle monté par une jeune équipe, Emmanuel Gaury et ses amis, Eurydice de Jean Anouilh. Une belle version, qui n’efface pas la cruauté, mais qui est portée par des comédiennes et comédiens sensibles et qui nous touchent. Reprise après les représentations du printemps dernier. Quatre spectacles le lundi. Ils marchent très bien car les spectateurs aiment ces rendez-vous.

Et quatre spectacles dans la semaine. Salle du haut, « grande » salle, à 19h00, une version toute d’alacrité de L’Éducation sentimentale de Flaubert. Une merveille concoctée par l’adaptateur Paul Emond et incarnée par les metteurs en scène, duettistes virtuoses, qui incarnent les protagonistes, Gilles Vincent-Kapps, superbe, et Sandrine Molaro, merveilleuse.

À 21h00, se donne L’Échange de Paul Claudel, dans une mise en scène de Didier Long, lui aussi habitué des créations du Poche et qui pensait depuis des années à cette pièce étourdissante, dans laquelle l’amour et l’argent tourmentent les êtres, les plus frais et innocents, comme les cyniques. D’ailleurs ils ne sont pas cyniques. Chacun a du mal à vivre. Cela se passe sur la côte Est des États-Unis. Louis Lane, sauvage et flamboyant métis indien, François Deblock, est revenu de France avec Marthe, Pauline Belle. Ils gardent la propriété de Thomas Pollock Nageoire, financier qui joue avec l’argent et les êtres, Wallerand Denormandie et sa fiancée du moment, la flamboyante actrice Lechy, Mathilde Bisson. Un quatuor magistral et bouleversant. Un suspense et ce style claudélien, qui transperce.

Quoi d’autre, encore ? Dans la salle du bas, à 19h00, une traversée de Rabelais, sous le projecteur de Gargantua, adaptation et jeu Pierre-Olivier Mornas sous le regard aimant et facétieux d’Anne Bourgeois. À 21h00, Zoo story, chef-d’œuvre d’Edward Albee, par un duo d’excellence. Pierre Val qui signe la mise en scène et dessine la violence du paumé, face à l’homme qui croit être sage, sur son banc, Sylvain Katan, déchirant.

Vous hésitez ? Allez tout voir ! Et n’oubliez pas le foyer, le bar et les livres… Et les délices de la conversation.

Armelle Héliot

Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris. Tous renseignements sur les
spectacles au 01 45 44 50 21.
* Philippe Tesson, Un théâtre en liberté. Anthologie de critiques dramatiques, 1970-2022. Anthologie
rassemblée par Armelle Héliot, L’avant-scène théâtre.
** Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre. Gallimard / Folio.
*** Christophe Barbier, Mozart, mon amour. L’avant-scène théâtre.