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Un jour, un auteur : Isabelle Le Nouvel

Isabelle Le Nouvel est dramaturge et comédienne. Elle est l’auteure du "Syndrome de l’écossais", de "Skorpios au loin" et de "88 fois l’infini", publiés à L’avant-scène théâtre.

« L’écriture est un confinement volontaire. »

L’avant-scène théâtre : Où êtes-vous confinée ?
Isabelle Le Nouvel :
Je suis confinée dans ma maison en proche banlieue parisienne, avec mon mari Niels Arestrup, nos deux jumeaux de 7 ans, et mon bouledogue français, qui prend beaucoup de place !

AST : Comment se déroulent vos journées ?
I. Le N. :
Comme j’ai une tendance rêveuse, j’ai été obligée de structurer mes journées avec des horaires très précis, pour avoir le temps nécessaire à consacrer au suivi scolaire des enfants, à la maison, à la cuisine (ce qui n’est pas mon fort !), tout cela dans l’espoir fou d’arriver à voler une heure trente par jour pour écrire. C’est ma bouffée d’air, mon jardin plus littéraire que vert, mais tout aussi nécessaire.

AST : Avez-vous des projets d’écriture en cours ? Est-ce une période propice pour écrire ?
I. Le N. :
Oui, j’écris, et pour la première fois, ce n’est pas du théâtre, mais un roman. Ce projet est un heureux hasard, car ce rendez-vous quotidien me structure et me permet de garder une activité intellectuelle. Quant à la période, l’écriture est de toute façon un confinement volontaire, en tout cas pour moi. Je ne peux pas écrire dans un café ; c’est toujours un tête-à-tête solitaire avec mon ordinateur. Oui, le moment est propice en ce qu’il est une grande période d’introspection où l’on découvre à la fois ses limites et de nouvelles capacités. Mais c’est aussi un moment anxiogène, dans lequel écrire peut apparaître comme un luxe. Et puis je suis partagée, car j’aimerais être à cent pour cent avec mes enfants, mais il m’est aussi nécessaire d’y échapper.

AST : La situation actuelle peut-elle être une source d’inspiration ?
I. Le N. :
Elle provoque à la fois de l’angoisse et beaucoup de fantasmes sur le monde d’après, que l’on aimerait plus solidaire. Cependant ma nature mélancolique et peu optimiste me fait penser que les choses reprendront leur cours comme avant. Ce qui m’interpelle plus particulièrement, c’est la hausse des violences familiales que cette situation de confinement provoque, la maltraitance sur les enfants. Je suis dans la sidération quand j’entends que le nombre de plaintes s’envole, sans compter ceux qui n’osent pas appeler et ne sont pas signalés. Même si ce sujet est extrêmement difficile à traiter au théâtre, je trouve qu’il serait essentiel de donner une voix aux victimes, de démonter le mécanisme criminel qui fait que certains s’autorisent à broyer physiquement ou psychologiquement des êtres vulnérables pour exercer leur toute-puissance, parfois jusqu’à la mort. Notre société ne semble pas capable d’endiguer cette violence. Le théâtre dans son exploration infinie de l’homme et de l’humanité devrait avoir quelque-chose à répondre à cette inhumanité-là. Dans quelle mesure peut-on s’interroger sur ce phénomène, dramatiquement, dans les deux sens du terme ? Peut-être que cela pourrait donner lieu à un croisement de monologues.

AST : Qu’est-ce qui vous manque le plus ? Qu’est-ce que vous appréciez ?
I. Le N. :
Indéniablement, ce qui me manque, c’est la convivialité. J’ai envie de recevoir à nouveau, de sortir le soir, d’aller prendre un verre avec des amis avant d’aller au théâtre. Je suis en manque de ces moments essentiels de chaleur humaine et d’échange. Mais il est vrai que j’apprécie aussi cette pause dans la course effrénée dans laquelle nous sommes lancés, le fait de découvrir un autre rythme, une autre vie que la sienne – comme la vie domestique à laquelle je suis peu habituée –, et de voir de quelle façon on invente. Avec des enfants, cela nous oblige à une forme d’énergie et d’optimisme. Eux-mêmes d’ailleurs nous aident par leur force et leur joie de vivre.

AST : Le confinement vous-a-t-il fait prendre conscience de certaines choses et vous a-t-il donné des envies de changement ?
I. Le N. :
J’aimerais croire à un avenir meilleur. Il est vrai que le changement nous appartient à tous. Il y a toujours eu des utopies, mais aussi le contraire. C’est un éternel recommencement. Cependant on voit bien quand on cesse de d’être dans la productivité à outrance et la compétition que les gens importants dans une société sont les aidants, les soignants, les véritables altruistes. Aussi j’espère que quand il y aura de nouvelles manifestations de soignants, nous nous montrerons plus concernés et solidaires.

AST : Quelle est la première chose que vous ferez quand vous sortirez ? Et qu’est-ce que vous ne ferez plus ?
I. Le N. :
Quand tout reprendra vraiment son cours sans contrainte, que tout sera rouvert, j’irai d’abord faire un tour chez mon coiffeur ! Puis j’irai voir des spectacles, des spectacles et encore des spectacles. Et j’emmènerai mes enfants à Deauville pour voir un cheval galoper devant la mer et le soleil couchant. Quant à ce que je ne ferai plus, je pense que je m’angoisserai un peu moins quand une lecture ou un projet sera reporté, que je serai un peu moins impatiente. Cela a changé mon rapport au temps.

AST : Pouvez-vous nous citer un objet et une œuvre artistique qui vous ont accompagné pendant cette période ?
I. Le N. :Un objet : Mon ordinateur, pour écrire.
Une œuvre : Lunatic Asylum de Serge Gainsbourg et tout l’album dont le morceau est extrait : L’Homme à tête de chou. Ce morceau, qui m’a toujours accompagnée, parle d’enfermement, d’impossibilité d’agir, d’éloignement, de détresse chaotique. Il me touche donc particulièrement en ces jours troublés. Il est de plus, pour moi, la quintessence du génie poétique de Gainsbourg chez qui le son a un sens, ce en quoi je crois très profondément, et il en fait ici une démonstration magnifique.

Propos recueillis par Violaine Bouchard

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