
« Le triomphe de Diafoirus »
L’avant-scène théâtre : Où êtes-vous confiné ?
Jean-Marie Besset : Je suis à Limoux, ma ville natale, où sont mes parents et où je passe déjà depuis deux ans un tiers de mon temps. Mon séjour y a été un peu avancé, puisque "Mister Paul" que j’interprétais au Théâtre de l’Atalante a été brutalement interrompu.
AST : Comment se déroulent vos journées ?
J-M. B. : Le premier mois, j’ai été sonné. Je n’arrivais pas à écrire. J’ai pourtant en cours une série de monologues que j’ai inaugurée avec "Mister Paul", des portraits d’habitants de Limoux que j’ai connus dans mon enfance, autant de vies anonymes mais extraordinaires. Le deuxième monologue s’intitule "Odette Libre" et le troisième "Le docteur a la fièvre". Ce dernier est en cours et j’aurais pu le continuer d’emblée mais j’étais anéanti. Tout me paraissait soudain dérisoire et périmé par l’événement inouï que nous sommes en train de vivre. C’est curieux parce que l’on pourrait penser que l’activité d’auteur ne devrait pas être impactée par l’isolement forcé. Mais je me suis aperçu que l’écrivain a besoin que le monde tourne et vive autour de lui. La rumeur du monde nourrit sa retraite. Puis peu à peu, je m’y suis remis.
AST : Avez-vous des projets d’écriture en cours ? Est-ce une période propice pour écrire ?
J-M. B. : J’ai ce projet sur les Limouxins. En plus de cela, j’ai profité de la présence voisine de mon neveu Marc Besset, qui a une petite boîte de vidéo avec un groupe d’amis, pour préparer une version cinématographique de "Mister Paul". J’ai travaillé à un scénario avec Régis de Martrin-Donos, lui aussi confiné non loin d’ici, et nous espérons le tourner au mois de mai.
AST : La situation actuelle peut-elle être une source d’inspiration ?
J-M. B. : Pas directement. Je suis souvent revenu sur des événements de ma vie, mais seulement après un long détour, parfois vingt ou trente ans après. Il m’est très difficile d’en parler à vif. Le seul sujet que j’ai traité « à chaud » est celui de ma pièce "Temple", qui relate l’assassinat du père Jacques Amel à Saint-Étienne-du-Rouvray, écrite deux ans après les faits. Mais c’est parce que l’événement s’inscrivait dans une réflexion de long terme sur le rapport entre l’islam et le christianisme.
L’événement actuel n’est d’ailleurs pas tant le virus en lui-même que les décisions démesurées qui ont été adoptées pour le combattre. Je suis dans l’incompréhension totale de ce que nous sommes en train de vivre. C’est la première fois qu’est décrétée une telle mise à l’arrêt de la vie. La seule explication que je vois est dans une pression de l’opinion publique très forte. Même les dirigeants qui désiraient être plus modérés ont été contraints par l’opinion publique à prendre des mesures drastiques. Seule la Suède résiste à ce mouvement de fond, mais c’est un pays plus petit.
En termes artistiques, je trouve une grande similarité avec l’acte III du "Malade imaginaire" de Molière, quand le médecin Diafoirus vient faire un scandale chez Argan parce que ce dernier n’a pas pris son clystère. Michel Bouquet est le premier à avoir pris la pièce au sérieux. On a toujours joué cette scène avec bouffonnerie, tandis que lui l’a jouée de façon tragique. Diafoirus dit à Argan : si vous ne suivez pas mes prescriptions, je vous promets une mort affreuse ! C’est drôle parce qu’écrit par Molière, mais il y a derrière cela une menace terrible, qui se concrétise aujourd’hui. Sur les chaînes d’informations publiques, on n’entend plus que des querelles de médecins qui s’opposent sur ce qu’il y lieu de faire ou de ne pas faire. Le gouvernement leur a laissé la parole, alors que leur art consiste à soigner ou bien à soulager quand ils sont impuissants à guérir. En aucun cas à passer leur temps dans des débats contradictoires et médiatisés pour apposer des opinions qui vont dans tous les sens. La population est paniquée ; comment ne le serait-elle pas puisque tout est fait pour la maintenir dans cette panique ? Nous assistons à l’instauration d’une dictature médicale que j’appelle « médicocratie » qui est le triomphe de Diafoirus. La pièce à écrire a donc déjà été écrite.
AST : Qu’est-ce qui vous manque le plus ? Qu’est-ce que vous appréciez ?
J-M. B. : Ce qui me manque le plus, c’est l’amour et l’amitié, pouvoir voir et toucher les gens que j’aime. Mais aussi les cafés et les restaurants qui sont l’âme de notre pays et des cultures latines en général. À tel point que si s’esquissait à long terme une vie sans cinémas, théâtres ni églises, sans ces lieux de culture et de partage, elle ne m’intéresserait pas. Je préférerais mourir que de vivre sans eux.
Les points positifs sont écologiques, la diminution de la pollution. Par exemple il n’y a plus d’algues vertes dans les golfes de Bretagne. L’air est aussi plus pur. Mais cela et sans doute temporaire. J’ai d’ailleurs été sensible aux mots du pape seul sur la place Saint-Pierre le jour de Pâques, qui parlait de l’exploitation avide de la planète. Mais j’ai peur que cela ne soient des vœux pieux. Tout comme l’idée de revenir à un souverainisme français. Je crains que l’on ne se remette pas dès demain à construire des ordinateurs, des téléphones et des chaussures de sport en France. Il faudrait vraiment que ce virus dure longtemps pour provoquer des changements notables.
AST : Le confinement vous-a-t-il fait prendre conscience de certaines choses et vous a-t-il donné des envies de changement ?
J-M. B. : J’étais déjà très concerné par l’écologie avant cela. Celle-ci devrait être incluse dans tous les programmes politiques. Si cette crise pouvait provoquer un sursaut, cela serait positif. Il faudrait instaurer des mesures beaucoup plus contraignantes.
AST Quelle est la première chose que vous ferez quand vous sortirez ? Et qu’est-ce que vous ne ferez plus ?
J-M. B. : Je ne ferai rien de très différent. Je resterai à Limoux puisqu’il n’y aura toujours pas de théâtres à Paris. Cette situation est surtout dramatique pour les jeunes auteurs et comédiens. Moi j’ai déjà fait ma carrière et ma vie, mais je n’ose m’imaginer à 30 ans dans cette situation… On peut toujours écrire, mais comment trouver la force de continuer sans être joué ni publié ? J’ai peur que cette crise ne soit en train de tuer les métiers du livre et du spectacle vivant. Ce pourrait être à l’inverse le triomphe du numérique et des écrans. Le mot écran a deux sens : il est celui qui protège, mais aussi celui qui ouvre sur l’image, tel une fenêtre. C’est la première fois que ce double sens du mot écran se révèle à ce point : l’écran qui protège une vie organique et qui ouvre sur un monde numérique. C’est peut-être là le changement de civilisation dont on nous parle, de la même façon que la peste noire a provoqué le passage du Moyen-Âge à la Renaissance.
AST : Pouvez-vous nous citer une œuvre artistique qui vous a accompagné pendant cette période ?
J-M. B. : Une œuvre : The Letter (William Wyler). Un film sur la nouvelle de Somerset Maugham et avec Bette Davis, qui est la plus grande actrice du monde.
Propos recueillis par Violaine Bouchard