
« L’homme est un animal amnésique »
L’avant-scène théâtre : Où êtes-vous confiné ?
Mohamed Kacimi : Je suis chez moi, à Paris.
AST : Comment se déroulent vos journées ?
M. K. : Mes journées se déroulent comme celles de tous les confinés, enfermé. Je sors une fois par jour, et il est très étrange de découvrir la vie à Paris sous le confinement, avec cette sensation bizarre d’évoluer dans un univers où chacun se méfie de l’autre. Chaque passant devient un danger de mort. Là est le changement radical. C’est ce qui détruit fondamentalement notre rapport à l’autre. Nous sommes dans une distanciation qui est aussi de la méfiance et de l’éloignement.
AST : Avez-vous des projets d’écriture en cours ? Est-ce une période propice pour écrire ?
M. K. : J’ai surtout beaucoup de projets qui se sont effondrés brutalement. Je ne pense pas que ce soit une période favorable pour l’écriture. On sait que les moments de troubles, de crise sociale ou de révolution n’ont jamais été propices à la littérature. La Commune, la Révolution, les deux Guerres mondiales n’ont rien engendré de notable.
AST : La situation actuelle peut-elle être une source d’inspiration ?
M. K. : Nous sommes dans un moment de sidération où la réalité se dérobe et devient difficile à traduire. Ce qui m’inquiète n’est pas tant ce que l’on vit aujourd’hui, qui est comme une parenthèse, mais ce qui va venir après. C’est alors que nous allons réaliser l’ampleur des dégâts. Des pans entiers de l’économie et de la société sont en train de s’effondrer. On ne le voit pas encore derrière le discours lénifiant et très médicalisé des politiques et des médias. On ne distingue pas ce qui se passe derrière cet écran de chiffres et de statistiques quotidien. Et pourtant c’est une vraie mutation de l’économie mondiale et du monde qui se profile.
AST : Qu’est-ce qui vous manque le plus ? Qu’est-ce que vous appréciez ?
M. K. : J’apprécie l’absence de notion du temps, la disparition de l’urgence. Il y a comme un arrêt sur image. Comme il n’y a plus de lendemain possible, on vit au jour le jour, dans un état de grâce. J’ai davantage de temps pour lire. Ce qui me manque, ce sont les autres. De pouvoir toucher, embrasser, aller dans un café.
AST : Le confinement vous-a-t-il fait prendre conscience de certaines choses et vous a-t-il donné des envies de changement ?
M. K. : Je ne suis pas de ceux qui disent que nous avons reçu un grand coup sur la tête et que nous allons tout changer. La chose que nous avons gagnée, c’est le bleu du ciel de Paris. Pouvoir regarder un ciel bleu et y respirer pour la première fois de notre vie un air pur. Mais je ne crois pas que cette crise puisse inciter les hommes à remettre en cause leur mode de fonctionnement. L’économie a toujours pris le dessus sur tout et demain cela va repartir comme en l’an 40. L’homme est un animal amnésique.
AST : Quelle est la première chose que vous ferez quand vous sortirez ? Et qu’est-ce que vous ne ferez plus ?
M. K. : Je ne sais pas ce que je serai autorisé à faire. Je ne peux pas dire que j’irai prendre un café, car ce n’est pas pour demain. Pourrai-je même aller dans une librairie ? Je suis un homme du papier, de la génération de ceux qui ont toujours lu leurs journaux et leurs livres en papier. Mais de fait j’ai dû contracter pendant cette période de nouvelles habitudes de lecture, sur écran. La presse et l’édition vont être contraintes de suivre cette profonde mutation qui est une victoire d’Internet sur tous les modes de production et de diffusion classique.
AST : Pouvez-vous nous citer un objet et une œuvre artistique qui vous ont accompagné pendant cette période ?
M. K. : Un objet : Mon Mac qui me sert de lit, de télé, de bibliothèque, de vélo, et même d’amour.
Une œuvre : La Vie quotidienne à Byzance au siècle des Commènes de Gérard Walter. Pourquoi Byzance ? Pour l’éternité. Comme l’Empire a duré dix siècles, je me suis embarqué pour le confinement dans cette histoire au long cours.
Propos recueillis par Violaine Bouchard