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Dario Fo

Dario Fo

"Le prix Nobel de littérature 1997 fit enfin prendre Dario Fo au sérieux. Mais cette fabuleuse distinction (des auteurs de théâtre l’avaient rarement obtenue, Pinter la reçut un peu plus tard) ne plongea pas le lauréat dans l’esprit de gravité. Il avait fait trop de pièces insolentes, joué dans tant de cours d’usine, participé à tant de meetings qu’il ne pouvait plus changer. C’est un homme au rire rouge et noir, qui prend ses couleurs dans le drapeau ouvrier (ce qui n’empêche pas que les désaccords avec le Parti communiste furent nombreux) et dans l’étendard anarchiste. Et toujours joueur, jouant à jouer ses textes ! Ainsi le vit Muriel Mayette quand elle lui rendit visite dans son appartement milanais pour discuter de la création de Mystère bouffe et Fabulages à la Comédie-Française : « Il expliquait Mystère bouffe, puis peu à peu le racontait, le jouait. La pièce poussait devant nous. Pendant ce temps-là, des raviolis sucrés cuisaient dans la « cucina ». C’était un moment de grâce, que j’ai essayé de retrouver en travaillant avec les acteurs. »

La naissance théâtrale de Dario Fo remonte loin, c’est-à-dire dans les années cinquante, quand il crée sa compagnie et la dirige en tandem avec une actrice-auteur, sa femme, Franca Rame. La troupe est une coopérative et le restera, même si elle a changé de forme au fil des ans. Aujourd’hui, on peut dire qu’il y a trois inspirations dans l’œuvre qui s’est développée au fil des décennies : l’inscription politique et polémique dans la vie sociale, la relecture critique de l’Histoire et un plaidoyer pour l’amélioration de la condition féminine.

Le Dario Fo mordant à pleines dents dans le monde injuste où l’on vit, c’est évidemment l’un de ses terrains d’excellence. Dans Mort accidentelle d’un anarchiste, il démonte une machination policière – l’élimination d’un suspect dans un commissariat, telle qu’elle a réellement eu lieu – avec le rire énorme d’un Arlequin politisé. Dans Faut pas payer ! il prend le parti d’ouvriers en lutte qui ne peuvent plus subsister s’ils respectent totalement la légalité. Mais, curieusement, c’est l’Histoire qui prend le dessus dans cette œuvre en expansion comme la parole de son auteur (pour écouter cette parole, rien de mieux que les cours improvisés réunis sous le titre Le Gai Savoir de l’acteur). De nombreux textes, comme Mystère Bouffe, inversent les mystères du Moyen Âge. Fo réécrit la vie de François d’Assise ou celle de Christophe Colomb. Contre une historiographie largement due au clergé il lâche la bride à une fantaisie pas vraiment anti-chrétienne (le personnage du Christ lui est fort sympathique) mais allergique aux dogmes et allègrement sensuelle. Il y a chez lui un conteur du Moyen Âge enrichi des combats tapageurs de l’agit-prop.  

Enfin, il y a cet hommage rendu aux femmes. Bien des écrits constituent même une Passion de la femme comme il y a une Passion du Christ. Dans des textes monologués le plus souvent, voilà des femmes humiliées, cadenassées, exploitées, violentées même. Petites ouvrières, comme cette femme plombier qui se réveille en sursaut pour aller travailler… un dimanche, ou figures mythiques comme Médée, Alice et la révolutionnaire Ulrike Meinhof. Il faudra bien qu’un jour, on réhabilite la part de Franca Rame : ces textes-là sont d’abord les siens.

En France, le théâtre de Dario Fo a longtemps été l’apanage des petites troupes. Bien sûr, il a donné lieu à de très belles mises en scène par Jacques Échantillon, Stephen Meldegg, Jacques Nichet, Didier Bezace, Françoise Chatôt, Muriel Mayette mais ces spectacles ont été espacés dans le temps, comme si le théâtre subventionné avait été longtemps en attente face à ce répertoire. La création à Nanterre de Klaxons, trompettes et… pétarades accentue cette prise en main de l’œuvre par l’institution. Mais il est certain – et touchant – que Dario Fo a d’abord été porté par les modestes équipes, comme s’il était naturellement un auteur pour les petits et pour les pauvres."

 

Gilles Costaz